Habitations Trigone perd tout devant la RBQ

Vendredi, 1 octobre, 2021
François Dallaire, La Facture, Radio-Canada

Extrait(s) :

Coup de tonnerre dans le milieu de la construction : toutes les licences des Habitations Trigone, un des plus gros constructeurs au Québec, sont annulées. Le Bureau des régisseurs de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) ordonne que la décision choc rendue jeudi entre en vigueur immédiatement.

Habitations Trigone détient actuellement 19 licences qui lui permettent de construire des immeubles vendus en copropriétés ou loués. L'entreprise a aussi déposé une demande pour l'obtention de quatre autres licences de la RBQ. Dans sa décision, le Bureau refuse que ces nouvelles licences soient accordées au constructeur. [...]

Comme les licences sont annulées, les travaux doivent cesser sur tous les chantiers, même si ce sont des sous-traitants qui effectuent le travail. Les dirigeants de l’entreprise, qui n’ont pas encore émis de commentaires, ont déjà mandaté leurs avocats pour porter leur cause en appel devant le Tribunal administratif du Québec. Ils demandent le sursis de l’exécution de la décision.

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Le piège des multiples entreprises

Le régisseur reproche d'abord à l'entreprise d'avoir créé une confusion «d’une ampleur inégalée» entre les multiples entreprises des Habitations Trigone.

«Les clients, les inspecteurs, les municipalités et les sous-traitants ont été pris au piège dans cet enchevêtrement d’entreprises, de marques de commerce et d’affirmations pouvant porter à confusion quant à l’identité du véritable entrepreneur.»

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Me Gilles Mignault ajoute que cet enchevêtrement est si complexe que même les dirigeants s’y perdent. «Comme si ce n’était pas suffisant, le Groupe Trigone [Habitations Trigone] en ajoute en se trompant lui-même de numéro de licence ou d’entreprise à plusieurs occasions dans différents documents officiels ou publicitaires. Comment un citoyen [...] peut-il s’y retrouver, alors que le Groupe Trigone [Habitations Trigone] lui-même et ses employés n’y parviennent pas?» demande-t-il.

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«Agir ainsi, c’est manquer de transparence, c’est semer la confusion. L’identité de l’entrepreneur avec lequel on fait affaire est cruciale. Camoufler intentionnellement ou non sa véritable identité, c’est tromper le public en général et le futur acheteur en particulier. En somme, c’est miner les valeurs de bonne foi et de probité prévues à la loi. Autrement dit, c’est contrevenir [à] la loi», peut-on lire dans sa décision.

Malfaçons récurrentes

De plus, le régisseur reproche au constructeur d'avoir mis en place un service après-vente déficient, malgré le fait que de nombreux chantiers ont été mal construits. « La preuve ne laisse place à aucun doute quant à l’importance de certaines malfaçons et de certains vices de construction, sans oublier la piètre qualité du service après-vente », déclare-t-il.

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Le régisseur relève aussi que le nombre de réclamations acheminées par des clients insatisfaits à différents plans de garantie est élevé, soit près de 1100, dont 731 fondées. « C’est beaucoup trop. La preuve montre qu’à de multiples reprises, ils ont manqué à leurs obligations, forçant ainsi l’acheteur à recourir au plan de garantie. En agissant de cette manière, les intimées ont créé une situation minant la confiance que ces personnes pouvaient avoir en elles », écrit-il.

Décisions arbitrales et jugements ignorés

Le Bureau reproche aux dirigeants des Habitations Trigone de ne pas avoir donné suite à des décisions arbitrales et à des jugements qui ont été rendus contre eux. Plusieurs clients se sont donc retrouvés démunis en dépit d’un jugement ordonnant à l’une des entreprises des Habitations Trigone de leur payer certaines sommes d’argent.

«Il n’est pas d’intérêt public de laisser des dirigeants continuer de jouer un rôle actif dans l’industrie de la construction alors qu’ils ne respectent pas des jugements rendus précédemment contre eux ou leurs entreprises. Laisser une licence aux entreprises de ces dirigeants, c’est fournir une caution morale à ce type de comportement.»

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Confiance du public

Le régisseur est d'avis que les dirigeants des Habitations Trigone ne méritent plus la confiance du public. « La conduite reprochée aux intimées et à leurs dirigeants a fortement ébranlé la confiance des clients, mais également celle de toute personne raisonnable qui aurait eu connaissance de ce qui a été révélé lors de l’audience. La direction [de la RBQ] a prouvé que les intimées et/ou leurs dirigeants ne méritent plus la confiance du public en raison de comportements passés », annonce-t-il.

Il rappelle que l'achat d’une maison représente un événement important dans la vie d’une personne. «Cet achat ne doit pas être un jeu de roulette russe par lequel on ne sait pas si l’immeuble sera affligé de vices de construction, si l’entrepreneur ou l’entreprise sera négligent, insolvable ou incapable de livrer le bâtiment à la date prévue. Qui est l’entrepreneur? En cas de pépin, sera-t-il en mesure de faire face à ses responsabilités ou est-ce qu’il s’agit d’une coquille vide?» écrit-il.

La sanction

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D’après lui, ces conduites et ces comportements sont inacceptables, graves et répétés. De plus, les dirigeants n'ont pas démontré qu'ils souhaitent s’améliorer.

«Dans ces circonstances, comment être certain que les faits reprochés ne se reproduiront plus? À l’évidence, il faut conclure que c’est impensable.»

Pour toutes ces raisons, il exclut l’idée d’une suspension des licences que détiennent les deux dirigeants. « Considérant la preuve et les objectifs de la loi, les licences des intimées seront annulées et les demandes de licence seront refusées », indique-t-il.

[...] Le Bureau reconnaît que l’annulation aura des effets sur les projets de construction en cours. D’ailleurs, les dirigeants de la compagnie ont plaidé pour que la sanction ne soit pas immédiate.

«L’annulation affecterait non seulement la centaine d’employés du siège social, mais aussi des centaines de sous-traitants, leurs milliers d’employés [et] aussi des milliers d’acheteurs et de locataires d’unités d’habitation dans une série de projets de construction en cours de réalisation», avise-t-on.

Cependant, le Bureau a rappelé qu’il s’agit d’un argument régulièrement plaidé et que c’est l'essence même d'une sanction. « Si les dirigeants avaient respecté les lois et les différentes réglementations, nous n’en serions pas rendus là. Avant de décider du sort des présentes, le soussigné a tenu compte des travaux en cours et est arrivé à la conclusion qu’une application de sanction immédiate devait être privilégiée », a-t-il tranché.