Réno-réalité Une rénovation de triplex qui tourne mal

Dimanche, 16 juillet, 2023
Stéphanie Lévesque, La Presse

Extrait(s) :

Sur papier, tous les projets sont beaux et réalisables. Dans l’action, tout est différent. Réno-réalité se veut un témoignage franc sur des projets heureux pour certains ou pénibles pour d’autres.

Témoignage : Mélanie et Karl, Hochelaga, Montréal

Professionnel : Marc-André Harnois, directeur général, Association des consommateurs pour la qualité en construction (ACQC)

Début des travaux : mai 2021

Fin estimée des travaux : octobre 2023

Le projet

Quel est le projet ?

Mélanie : Le projet de rénovation consiste à rénover entièrement un triplex dans Hochelaga-Maisonneuve. Tout a été dégarni. 

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Avez-vous engagé un entrepreneur pour réaliser les travaux ?

Mélanie : Oui, nous avons engagé un entrepreneur général recommandé par un groupe de filles en qui j’avais confiance. J’ai fait les vérifications usuelles (Régie du bâtiment du Québec – RBQ, Revenu Québec). 

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Les imprévus

À quel moment avez-vous senti que le projet n’avançait pas à un rythme régulier ?

Mélanie : J’ai ressenti que le projet n’avançait pas normalement vers septembre 2022, mais j’ai laissé le bénéfice du doute à l’entrepreneur avec toutes ses représentations en disant qu’il y avait eu plein de surprises. J’ai demandé par écrit dès septembre 2022 de me fournir des factures ventilées, ce à quoi il me répondait par l’affirmative. Je n’ai jamais reçu de factures ventilées. J’ai aussi demandé de faire un contrat forfaitaire. Il a refusé. Il voulait faire la structure à l’heure. J’ai payé les deux premières factures avec des montants considérables de bonne foi, malgré le peu d’informations sur les factures et les difficultés que cela comporte pour la reddition de comptes. Puis, en février 2023, j’ai mis fin à la collaboration avec l’entrepreneur. 

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C’est là que l’entrepreneur a pris les grands moyens pour se faire payer : il a déposé un avis d’hypothèque légale en mars 2023, puis, trois semaines plus tard, un préavis de vente sous contrôle de justice en avril 2023. Un moyen tellement disproportionné pour des factures non justifiées et pour lesquelles j’avais déjà versé des sommes considérables au surplus.

Avez-vous demandé une expertise ?

Mélanie : J’ai demandé une expertise en avril 2023, avec pour mandat d’évaluer les déficiences des travaux faits ainsi que la valeur des travaux faits. Manifestement, l’entrepreneur a exagéré son temps et a ralenti la vitesse d’exécution indûment sans raison valable, alors qu’il s’était proclamé expert dans ce type de projet. Or, il s’avère que l’entrepreneur n’a pas suivi les plans de l’architecte ni ceux de l’ingénieur en structure. Non seulement il n’a pas suivi ces plans, mais ses travaux comportent aussi des déficiences majeures.

Pourquoi avez-vous cessé le paiement auprès de l’entrepreneur ?

Mélanie : Car les travaux rendus avec ses factures comportaient des irrégularités. De plus, ses factures n’étaient pas justifiées ni ventilées.

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Avis du professionnel

Marc-André Harnois, directeur général, Association des consommateurs pour la qualité dans la construction : La situation de Mélanie et de Karl est typique des cas d’hypothèque légale qui nous sont rapportés, une situation qui touche environ 1000 ménages chaque annéeConsidérant qu’il y a un peu plus de 16 000* entrepreneurs dans le secteur résidentielsi ce n’est pas super fréquent, ce n’est pas rare non plus.

L’hypothèque légale est un privilège accordé à l’industrie de la construction afin de la protéger contre les défauts de paiement. Il s’agit d’un outil extrêmement puissant, puisqu’elle peut permettre à ceux qui en bénéficient, ultimement, de faire vendre la propriété sous contrôle de justice pour être payés. Cela dit, cette procédure n’est pas automatique non plus, et c’est très rare que ça se rende jusque-là.

Pour en bénéficier légitimement, l’entrepreneur doit l’inscrire au Registre foncier dans les 30 jours suivant la fin des travaux et, s’il s’agit d’un sous-entrepreneur, avoir dénoncé ses travaux par écrit au propriétaire avant de les réaliser.

Cela dit, il n’est pas rare qu’on nous dénonce des cas où l’entrepreneur a inscrit une hypothèque légale de manière illégitime (oui, c’est possible, les vérifications du Registre foncier étant très superficielles), soit parce qu’il l’a fait trop tard, soit parce que le client était dans son droit de ne pas payer la totalité de la facture, par exemple parce que les travaux comportaient des malfaçons à corriger.

Lorsque c’est le cas, le client doit alors aller se défendre (généralement en Cour supérieure) et démontrer, par exemple, que les travaux comportent des malfaçons que l’entrepreneur a refusé de corriger et qu’il a dû faire parachever à ses frais, que c’est l’entrepreneur qui lui doit de l’argent et non l’inverse et que l’hypothèque légale doit donc être radiée. Lorsque le différend porte sur un montant élevé, la situation est donc généralement très semblable à ce qu’elle aurait été sans hypothèque légale. C’est surtout lorsqu’il est question de petites créances que l’hypothèque fait mal, parce qu’elle force alors à embaucher un avocat là où ce n’aurait autrement pas été nécessaire. C’est dans ces cas-là qu’on voit des gens renoncer à leurs droits et payer pour des travaux pour lesquels ils ne sont pas satisfaits.

Autrement, si on se dirige vers un différend important et qu’on reçoit un avis d’inscription/de conservation d’une hypothèque légale, il ne faut surtout pas paniquer. La maison ne sera pas vendue aux enchères du jour au lendemain. D’ailleurs, il est important de savoir que celui qui inscrit une hypothèque légale a jusqu’à six mois après la fin des travaux pour entamer la procédure permettant de vous déposséder de votre maison (inscrire un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire) ou intenter une action en justice contre vous. Passé ce délai, l’hypothèque légale ne s’efface pas toute seule, mais elle s’éteint, devenant inutile à celui qui la possède.

D’ailleurs, si l’entrepreneur se sait en faute, mais utilise l’hypothèque légale comme levier de négociation, il est possible que sa stratégie comporte une part de bluff et qu’il n’ait pas réellement l’intention de payer un avocat pour aller perdre devant le juge, surtout qu’un jugement laisse des traces. Dans la négociation, il ne faut pas perdre de vue qu’il a, lui aussi, quelque chose à perdre.

Par ailleurs, porter plainte à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) et à l’Office de la protection du consommateur (OPC) peut contribuer à éviter à d’autres les problèmes que vous subissez.

Cela dit, si vous sentez que votre entrepreneur est de bonne foi et qu’il y a simplement différend entre vous, il est possible de substituer l’hypothèque légale par une sûreté, par exemple en déposant une somme dans un compte en fidéicommis, de manière à ce que l’entrepreneur ait la certitude que dans le cas où il aurait gain de cause, il pourrait être payé. C’est particulièrement pertinent si cela permet d’ensuite régler le litige à la Cour des petites créances à moindre coût, ou si l’hypothèque légale entre en conflit avec vos obligations envers votre prêteur hypothécaire.