« Il ne faudrait quand même pas faire le travail du consommateur à sa place. »

Lundi, 27 avril, 2020
Marc-André Harnois, Directeur général, ACQC

Dans le cadre de notre travail de représentation des intérêts des consommateurs, j’ai régulièrement l’occasion de m’entretenir avec différents acteurs du domaine, notamment des représentants de l’industrie et des décideurs publics. Si nous pouvons avoir des intérêts divergents et ne partageons pas forcément les mêmes points de vue, nous savons qu’à force de dialogues constructifs, il est possible de faire avancer la cause (même s’il faut être très patients). Si les divergences sont en général plus évidentes lorsqu’on échange avec l’industrie, on pourrait avoir tendance à présumer que les représentants d’institutions ayant comme mission de protéger le public ont forcément une sensibilité particulière à cet égard. Il arrive parfois des exemples pour nous rappeler que ce n’est pas forcément le cas. 

Un sujet que nous abordons occasionnellement concerne la responsabilité de différentes institutions publiques d’informer adéquatement les consommateurs afin de leur permettre de prendre des décisions éclairées. Récemment, alors que nous défendions que l’idée qu’une façon différente de présenter telle information la rendrait plus utile pour le public, on nous a répondu qu’ « il ne faudrait quand même pas faire le travail du consommateur à sa place »

Cette réponse démontre, encore une fois, la nécessité de faire mieux accepter, dans l’appareil public, la logique qui mène à l’adoption de lois sur la protection du consommateur un peu partout dans le monde. La principale raison à l’origine de toutes ces lois est la reconnaissance de la vulnérabilité du consommateur vis-à-vis du commerçant, du déséquilibre qui caractérise leur relation, et ce pour au moins deux principales raisons. 

D’abord, s’attaquer à une grande entreprise qui a les moyens de se défendre et l’expertise en la matière n’est pas une mince affaire. S’il est vrai que la plupart des entrepreneurs dans le petit résidentiel sont des PME aux ressources juridiques limitées, il existe tout de même plusieurs géants de l’immobilier au Québec avec lesquels on ne souhaite surtout pas avoir de différend.

Surtout, la raison principale du déséquilibre demeure le couple: spécialisation du commerçant et déficit d’information du consommateur. Même en ces temps où le consommateur a accès de plus en plus facilement à de l’information sur tout et rien, le commerçant a et aura toujours une longueur d’avance sur le consommateur pour la simple et bonne raison que c’est justement son travail que d’être spécialisé dans ce qu’il vend. Plus le domaine sort des champs de connaissance du client (ce qui est souvent le cas lorsqu’il est question d’un bien qu’il achète rarement) et plus ce déséquilibre sera grand. C’est d’autant plus vrai lorsqu’un commerçant fait de la malhonnêteté son modèle d’affaires. C’est facile de berner un consommateur quand on en sait beaucoup plus que lui sur ce qu’on lui vend ou sur ses droits. 

« Il ne faudrait quand même pas faire le travail du consommateur à sa place. »

Entendons-nous bien. Le consommateur a des responsabilités et doit faire ses devoirs, ce qu’il ne fait malheureusement pas toujours. Combien de drames seraient évités si chacun se renseignait davantage sur ce qu’il achète et lisait ses contrats avant de signer. À l’ACQC, nous mettons beaucoup d’énergie à mieux informer le consommateur sur ses droits et ses devoirs, sur les arnaques fréquentes et sur ce qu’il devrait savoir pour bien s’en sortir dans le domaine de l’habitation. Toutefois, il s’agit tout autant du rôle de nombreuses institutions publiques dont s’est doté le Québec. Un rôle rempli avec une diligence discutable selon l’institution dont il est question. Nous laisserons ici les consommateurs déposer le chapeau à qui le lui fait. 

Évidemment que le consommateur se doit d’être prudent et diligent et qu’il y a des limites à ce que l’État devrait faire pour le protéger de sa propre négligence. Néanmoins, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le consommateur devienne spécialiste d’un nouveau domaine à chaque achat qu’il effectue et surtout pas d’un domaine aussi vaste et complexe que l’habitation. Rappelons que notre économie repose principalement sur la consommation des ménages, laquelle repose entre autres sur la confiance qu’ils ont quant au respect de leurs droits. Ce n’est donc pas uniquement par principe, mais également par intérêt économique que des États se dotent de lois afin de tenter de mettre consommateurs et commerçants davantage sur un pied d’égalité. 

Pour ce faire, ces lois peuvent par exemple interdire certaines pratiques de commerce, établir diverses présomptions en faveur du consommateur, ou forcer le commerçant à divulguer certaines informations. Parfois, les pratiques qu’elles interdisent désavantagent le consommateur de manière si évidente, qu’il est difficile de dire si elles protègent le consommateur davantage du commerçant ou de lui-même. D’une certaine manière, ces lois viennent précisément « faire le travail du consommateur à sa place » en réduisant son fardeau de consommateur prudent. 

Finalement, saviez-vous que l’immobilier est exclu de l’essentiel de la Loi sur la protection du consommateur? Alors que le domaine de l’habitation est généralement le premier poste de dépense des ménages, il nous semble que les protections du consommateur en la matière devraient être des plus importantes. Il est toujours préoccupant de constater que des décideurs publics du domaine ne reconnaissent pas dans leur rôle de protection du public, celui, un peu, de « faire le travail du consommateur à sa place. » Je me console en me disant que l’ACQC ne devrait pas manquer de travail de sitôt.