C’est en décembre 2019 que le projet de loi 16 porté par la ministre Andrée Laforest a confié à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) l’encadrement des inspections en bâtiment, demandée depuis plus de 20 ans. C’est finalement 4 ans plus tard, fin février dernier, qu’un règlement de la RBQ permettant la mise en œuvre de cet encadrement a finalement été adopté par le conseil des ministres. Celui-ci avait été soumis à deux périodes de consultation ces deux dernières années. L’ACQC avait donc pu soumettre ses commentaires en 2022, puis 2023, et on en connaissait donc déjà l’essentiel. C’est donc à la fois avec soulagement (l’industrie sera finalement encadrée) et déception (certains commentaires importants n’ont pas été retenus) que nous accueillons l’adoption de ce règlement tant attendu.
L’enjeu
Pour ceux qui entendent parler de ce dossier pour la première fois, sachez simplement que quiconque peut se dire inspecteur en bâtiment au Québec, sans qualifications aucunes, et ce encore jusqu’au 30 septembre 2027. Cela cause des disparités de compétences flagrantes dans l’industrie dont le consommateur ressort grand perdant. L’achat d’une habitation est le plus gros achat qu’on fait dans une vie. Dans presque tous les cas, l’ACQC recommande que l’offre d’achat soit conditionnelle à une inspection par un professionnel afin que le consommateur puisse prendre sa décision d’achat en toute connaissance de cause, au moins pour tout ce qui est apparent. Or, en cas de vice apparent, faire affaire avec un inspecteur sous-qualifié et mal assuré peut faire perdre des dizaines de milliers de dollars à l’acheteur, ce qu’un encadrement adéquat vise à éviter.
Le règlement
Or, le nouveau règlement de la RBQ, s’il nous semble viser pour l’essentiel au bon endroit sur le long terme, comporte des failles majeures qui pourraient bien l’empêcher d’atteindre ses objectifs avant longtemps.
La voie rapide
La principale est la porte très grande ouverte facilitant l’obtention d’un certificat de la RBQ pour les inspecteurs déjà en activité. On l’a dit, le problème est qu’il y a actuellement bien des inspecteurs sous-qualifiés qu’on voudrait voir soit sur les bancs d’école, soit hors de l’industrie. L’exigence de formation a beau être raisonnable pour les futurs inspecteurs (attestation d’études collégiales (AEC)), si on est trop conciliants avec les inspecteurs actuels, il faudra attendre encore une génération complète avant que l’industrie soit assainie.
À la décharge de la RBQ, il faut avouer que ce point était une patate chaude. Avec un marché immobilier particulièrement dynamique ces dernières années, en étant trop exigeante, elle aurait très bien pu causer une pénurie d’inspecteurs. Alors, plutôt que de trancher elle-même quels inspecteurs peuvent bénéficier d’une voie rapide et quels doivent faire l’AEC (elle aurait pu imposer un examen), la RBQ a choisi de se baser sur les certificats d’assurances.
On devine que la logique est qu’un inspecteur qui a réussi à être assuré 3 années dans les 5 années précédant la demande doit être un minimum sérieux. Autrement, il aurait accumulé les réclamations et serait devenu non assurable. Sauf que pour en juger, la RBQ va accepter une assurance responsabilité civile et pas uniquement l’assurance erreurs et omissions.
Or, l’ACQC est d’avis qu’un inspecteur sérieux doit avoir une assurance erreurs et omissions en plus de celle pour sa responsabilité civile. Ce sera d’ailleurs (heureusement) exigé par le règlement. On peut noter l’apparente contradiction: on va reconnaître l’expérience des inspecteurs sur la base d’une police d’assurance qui est pourtant jugée insuffisante pour obtenir le certificat de la RBQ. Une belle incohérence.
De plus, sur le principe, c’est quand même faire reposer la responsabilité de la RBQ de s’assurer de la qualification des inspecteurs sur les épaules des assureurs. Eux vérifient les qualifications des inspecteurs pour ne pas couvrir n’importe qui. Ce sont donc eux, au final, qui vont décider qui sera exempté de l’AEC ou pas. Il suffirait d’un seul assureur, plus coûteux, mais qui accepte une plus grande part de risque, pour ouvrir la porte à l’incompétence.
Quand on compare à l’AEC qui est exigée pour les futurs inspecteurs, c’est vraiment deux poids deux mesures entre la qualification attendue des inspecteurs futurs et actuels. Ce passe-droit accordé aux inspecteurs déjà sur le marché nous fait dire que pour de nombreuses années encore, le consommateur devra bien investiguer les réelles compétences de son potentiel inspecteur, car le seul certificat de la RBQ sera insuffisant pour en juger.
Assurance qui perdure après la pratique
Une autre demande importante qui n’a pas été retenue par la RBQ concerne la durée de la couverture d’assurance. Lorsqu’un inspecteur a commis une erreur, il n’est pas rare qu’elle ne soit découverte que plusieurs années après l’inspection. Or, si celui-ci a pris sa retraite, à moins qu’il soit membre d’un ordre professionnel (technologue, architecte, ingénieur, évaluateur agréé) il ne sera généralement plus couvert par ses assurances, laissant au consommateur peu de chances d’être dédommagé. C’est pourquoi la responsabilité des membres des ordres professionnels doit être couverte au moins 5 ans après la fin de la pratique. C’est une demande de longue date de l’ACQC qui n’a pas été retenue par la RBQ et qui nous fait dire que le consommateur devrait privilégier un inspecteur membre d’un ordre professionnel ou éviter de faire affaire avec un inspecteur qui semble près de cesser sa pratique (que ce soit pour prendre sa retraite ou pour d’autres raisons).
Dispositions pénales
Une autre omission qui suscite des craintes à l’ACQC est l’absence de dispositions pénales concrètes dans le règlement. Alors que dans la loi sur le bâtiment, des amendes précises sont prévues pour les entrepreneurs en construction fautifs, la disposition pénale du règlement encadrant les inspecteurs ne comporte qu’un seul et unique article (art. 42) qui vient préciser quelles infractions sont pénales ou pas, mais qui ne précise aucunement ce à quoi les inspecteurs fautifs s’exposent. On se demande bien sur quelles bases un éventuel régisseur de la RBQ pourra s’appuyer pour établir ses sanctions. On ne peut que regretter que la RBQ ait ici manqué une occasion d’envoyer un signal clair de sa ferme intention de faire respecter son nouveau règlement, intention dont des dispositions pénales d’un seul et unique article incitent davantage à douter.
Octobre 2027
Pour conclure, je tiens à rappeler que le certificat de la RBQ ne sera obligatoire qu’en octobre 2027, dans encore 3 ans et demi. D’ici là, n’importe qui peut encore se dire inspecteur en bâtiment. Les recommandations de l’ACQC demeurent donc encore d’actualité, soit de rechercher idéalement un inspecteur membre d’un ordre professionnel (il y en a de moins en moins), ou à défaut, possédant une formation pertinente et des assurances solides. Lorsqu’il sera en ligne, on vous invite à consulter le registre des inspecteurs certifiés par la RBQ. Bien que nous ayons des réserves, il attestera quand même d’un certain nombre de vérifications, notamment au chapitre des assurances. De plus, on peut penser que les inspecteurs les plus sérieux seront parmi les plus prompts à obtenir leur certificat. Dans tous les cas, à moins d’avoir une confiance aveugle en votre courtier immobilier, ne vous fiez pas à ses recommandations d’inspecteurs. Pour vous en convaincre, écoutez ce reportage de La Facture (mars 2023). D’ailleurs, avec la publication de ce règlement tant attendu, nous réitérons que l’Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) devrait, dès que sa mise en oeuvre sera suffisante, imposer aux courtiers des acheteurs de ne référer qu’au futur registre de la RBQ, puis interdire aux courtiers des vendeurs d’interférer dans le choix de l’inspecteur de l’acheteur, du moment que celui-ci possède le certificat requis, comme nous le demandions il y a un an, à la sortie du reportage.