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4. Le système de licence en lui-même

On critique souvent les examens trop faciles ou le manque de surveillance de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), mais n'est-ce pas le système de licence en lui-même qui est déficient ? Osons parler de professionnalisation des entrepreneurs en construction !

4. Le système de licence en lui-même

4.1 Des licences pour entreprises ou pour individus ?
La professionnalisation des entrepreneurs en construction

On parle souvent des «professionnels» de la construction, la principale association d’entrepreneurs dans l’habitation, l’APCHQ, portant même le terme dans son nom. Or, c’est peut-être une des principales lacunes du système de licences de la RBQ: elle ne traite absolument pas les entrepreneurs comme des professionnels. 

Alors que l’entrepreneur en construction rend aux consommateurs des services parmi les plus coûteux qui soient, on n’a jamais jugé bon de le considérer comme un professionnel et de lui imposer l’encadrement qui vient avec. Pourtant, les risques en cas d’erreur sont bien plus importants que pour certains professionnels encadrés. 

Lorsqu’on porte un titre professionnel, on est personnellement encadré par un ordre professionnel. Ce n’est pas l’entreprise qui porte le titre, mais bien le professionnel. Un dossier disciplinaire, ça vous suit toute votre carrière et si l’ordre le juge nécessaire, vous pouvez être radié. Comme dans: «à vie». Changement de carrière. Fallait y penser avant. 

Une licence RBQ, bien que ça puisse être délivré à une personne physique, c’est essentiellement délivré à des entreprises. Si un individu possède plusieurs entreprises en construction, chacune devra avoir sa licence. S’il exploite une entreprise et la ferme pour en ouvrir une nouvelle, il devra obtenir une nouvelle licence. Ainsi, il est assez commun chez les entrepreneurs de collectionner les numéros d’entreprises, au fil du temps ou même simultanément, pour plusieurs bonnes et moins bonnes raisons. Certains changent de numéro régulièrement. Dans les grands développements immobiliers (copropriétés), c’est la norme d’ouvrir puis fermer des entreprises distinctes pour chaque bâtiment ou section du projet. Dans les deux cas, ça vise entre autres à se protéger contre d’éventuelles poursuites judiciaires (puisqu’il est exceptionnel de poursuivre une entreprise radiée). Cela dit, quelles que soient les motivations, il en résulte à chaque fois une nouvelle licence de la RBQ. 

Dans ce système, les individus ne sont que des «répondants» de l’entreprise. Nous avons vu plus haut qu’il y a 4 domaines de qualification. Il doit y avoir un répondant pour chaque domaine (et un même répondant peut répondre de plusieurs domaines de qualification, voire pour les quatre). Ils n’ont pas personnellement de dossier professionnel. Certes, dans certains cas d’infractions ou de condamnations, ils peuvent ne plus pouvoir se qualifier comme répondant pour une période de cinq ans. Mais il n’existe rien de comparable dans la Loi sur le bâtiment à ce qu’on peut retrouver dans le Code des professions. 

Ainsi, si l’on veut réellement responsabiliser les entrepreneurs, il faudrait peut-être les traiter davantage comme des professionnels ; par exemple, «entrepreneur en construction» pourrait devenir un titre, encadré par la RBQ, dont l’obtention, à titre personnel, serait préalable à toute demande de licence pour leur(s) entreprise(s). On viendrait ainsi encadrer différemment les entreprises qui ont le droit de conclure et réaliser des contrats pour des travaux de construction et les individus qui ont le droit de gérer de telles entreprises. Les garanties financières pourraient continuer de reposer sur l’entreprise (notamment par un système de cautionnement amélioré à la RBQ), alors que la qualification reposerait sur l’entrepreneur. 

Certains diront que c’est déjà un peu le cas, la qualification reposant sur les répondants. Sauf que l’encadrement des répondants est infime en comparaison de celui imposé dans le Code des professions. Pas de code de déontologie. Pas de comité de discipline. Des responsabilités personnelles très limitées. Pas de dossier professionnel qui vous suit tout au long de votre carrière et qu’on ne peut masquer en créant une nouvelle entreprise. Aucun risque d’être radié (personnellement). Dans la conception même du système actuel, les travaux sont réalisés par des entreprises, pas par des personnes physiques, lesquelles n’en sont que des répondants. L’entreprise doit avoir un ou des répondants qualifiés, mais quand quelque chose se passe mal, c’est généralement l’entreprise qui est en faute, pas ses répondants. D’ailleurs, bien que la «probité» soit une qualité toute personnelle qui s’applique bien davantage à un individu qu’à une entreprise, quand on regarde les plus de 400 décisions des régisseurs de la RBQ contenant le mot «probité» dans les dix dernières années, on constate que la quasi totalité sont contre une entreprise et non contre une personne physique. 

Si l’on regarde les étapes à suivre pour obtenir une licence sur le site Web de la RBQ, on voit que la qualification est la 7e étape de 8, comme si c’était une formalité qui ne pouvait qu’être réussie. Elle devrait selon nous se retrouver dans les premières étapes ; être un préalable, à la base de tout le processus. 

4.2 Les catégories de licences

Présentement, le système de licence divise les entrepreneurs en deux catégories principales: les généraux et les spécialisés (et on peut être les deux à la fois). Ensuite, ces catégories sont divisées en de multiples sous-catégories, selon la nature des travaux. Finalement, les spécialités sont divisées en deux, celles à «risques moins élevés» et les autres. Nulle part il n’y a de distinction sur l’ampleur des contrats qui sont acceptés. La licence est la même pour l’entrepreneur général qui construit une maison par-ci par-là que pour un grand promoteur immobilier qui construit des quartiers entiers à répétition. La Loi sur le bâtiment devrait être modifiée de manière à ce que la RBQ module son approche et encadre chacuns adéquatement en fonction des risques qu’ils représentent. 

4.3 Coquilles vides

Une autre avenue majeure, surtout lorsqu’il n’y a aucun plan de garantie, c’est de mettre fin aux compagnies «projet unique» qui finissent invariablement en «coquilles vides» inutiles à poursuivre. La Facture avait d’ailleurs fait un reportage à ce sujet en janvier 2020 (qu’on vous recommande fortement !) Il s’agit d’une pratique extrêmement répandue chez les grands promoteurs, au point qu’il peut être difficile d’en trouver qui ne la pratiquent pas. C’est d’autant plus vrai dans le cas de constructions neuves non couvertes par un plan de garantie. 

S’il existe des motivations fiscales légitimes à cette pratique, il n’en demeure pas moins que sa principale utilité est précisément d’éviter que des poursuites puissent remonter jusqu’à l’entreprise mère. On peut alors légitimement se demander si ce n’est pas à dessein que certains promoteurs l’utilisent, sachant très bien qu’ils ne prendront pas les moyens nécessaires pour s’assurer de la qualité de la construction. On peut également se demander si ça ne devrait pas être une pratique carrément interdite par la Loi sur le bâtiment, ou à défaut, s’il ne faudrait pas, au moins, garantir la possibilité de recours contre la compagnie mère lorsque la compagnie «projet unique» est insolvable.

4.4 Le cautionnement de licence

Une autre solution à plusieurs enjeux mentionnés serait une amélioration majeure du système de cautionnement de la RBQ. Pour obtenir une licence de la RBQ, il faut posséder un cautionnement. Il s’agit d’un montant détenu par un tiers et qui vient garantir les obligations de l’entrepreneur advenant qu’il soit incapable de les respecter. 

Or, le cautionnement actuel n’est nullement adapté aux montants en jeu. En effet, le cautionnement de licence exigé est de 40 000 $ pour les entrepreneurs généraux et de 20 000 $ pour les entrepreneurs spécialisés. Dans la plupart des cas, c’est nettement insuffisant. Lorsqu’un entrepreneur fait faillite, il laisse généralement en plan plusieurs clients. Or, ce montant n’est pas par client, mais par entrepreneur et il sera donc divisé entre ses clients. Ainsi, l’indemnité moyenne accordée par la RBQ est d’environ 3 000 $. Considérant qu’il faille généralement un jugement de la cour (avec les frais de justice et les délais que ça implique) pour mettre la main sur la caution, on comprend bien que les cas où il est avantageux de réclamer sont minoritaires. Le rapport de la VGQ s’est d’ailleurs largement penché sur la question: 

« Les montants du cautionnement de la licence d’entrepreneur exigé par la RBQ sont parfois insuffisants. En effet, dans plusieurs dossiers de réclamation, ils ne permettent pas de dédommager en totalité les consommateurs lésés. De plus, pour certains types de travaux, le délai maximal pour déceler un vice de construction est trop court pour qu’ils puissent demander un dédommagement financier. » Rapport VGQ op. cit. par.74 (p.24). 

« Parmi les 444 réclamations pour lesquelles une indemnisation a été accordée, près de 45 % des consommateurs indemnisés (202 réclamants) ont subi des pertes financières. [...] 45 % d’entre eux ont perdu 10 000 dollars ou plus (90 consommateurs sur 202). Cela est sans compter que 24 réclamations ont été refusées par la RBQ parce que le montant du cautionnement était épuisé. » Rapport VGQ op. cit. par.83 (p.26). 

« Ces pertes financières et les 24 demandes d’indemnisation refusées parce que le montant du cautionnement était déjà épuisé s’expliquent par un montant de cautionnement insuffisant. Bien que les montants aient été augmentés en septembre 2016, environ 46 % des indemnisations accordées demeurent insuffisantes. En fait, après l’augmentation, la proportion de consommateurs ayant subi des pertes financières est restée la même, mais le pourcentage de consommateurs ayant perdu plus de 10 000 dollars a diminué de 2 %, en passant de 45 % à 43 %. » Rapport VGQ op. cit. par.84 (p.27). 

«La RBQ n’a pas effectué d’analyse approfondie pour déterminer les montants de cautionnement qui permettraient de mieux protéger les consommateurs. En comparaison, l’OPC s’est appuyée sur une étude actuarielle afin de réviser le montant du cautionnement pour un titulaire de permis de commerçant itinérant.» Rapport VGQ op. cit. par.86 (p.27). 

Il est important de noter ici que la VGQ ne s’est penché que sur les cas de réclamation. Le portrait serait sans doute encore plus sombre si l’on connaissait le nombre de clients qui auraient pu réclamer, mais qui ne l’ont pas fait sachant qu’ils n’en sortiraient probablement pas gagnants. En effet, pour obtenir le cautionnement, il faut généralement un jugement contre l’entrepreneur. Or, dans les cas de faillites moindrement importantes où des clients poursuivaient déjà l’entrepreneur, le risque est grand que la caution soit vidée avant qu’on puisse obtenir un jugement. Il y a donc de nombreuses réclamations potentielles qui ne sont jamais parvenues à la RBQ, son système de cautionnement ne répondant simplement pas aux besoins. Ainsi, il faudrait que des catégories d’entrepreneurs soient créées sur la base du chiffre d'affaires et que les exigences (dont le montant de la caution) soient ajustées en conséquence. 

Une autre lacune majeure du cautionnement de la RBQ est que sa couverture est très limitée et ne couvre qu’une partie des obligations de l’entrepreneur. Notamment, les malfaçons et les vices de constructions sont couverts seulement durant un an, comme l’explique la VGQ :

« Le consommateur a un an après la fin des travaux pour déceler les malfaçons et les vices de construction. Ce délai s’applique à tout type de travaux sans considération de leur nature, alors que pour certains types de travaux les vices surviennent généralement après cette échéance. Ainsi, uniquement pour les toitures, 41 réclamations ont été refusées en raison du dépassement du délai. Bon an mal an, c’est près de 22 % des réclamations pour des travaux de toitures qui sont refusées en raison du délai.

Aux fins de comparaison, l’Association des maîtres couvreurs du Québec offre une garantie résidentielle de 10 ans pour les matériaux et la main-d’œuvre. L’adhésion de l’entrepreneur à cette association est facultative. Quant au Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, il couvre les vices cachés durant trois ans et les vices de conception, de construction ou de réalisation durant cinq ans. Cette comparaison démontre que le délai maximal de la RBQ n’est pas adapté à la nature des travaux. » 

Rapport VGQ op. cit. par.87 (p.27). 

En somme, une couverture beaucoup plus large du cautionnement, des montants plus élevés, proportionnels au chiffre d’affaires de l’entreprise, puis un processus de réclamation plus efficace sont à notre avis nécessaires. Ce n’est pas logique qu’un consommateur doive investir des milliers de dollars pour obtenir un jugement pour finalement être capable de mettre la main sur une caution qui ne sera peut-être même pas suffisante pour couvrir ses frais de cour. C’est peut-être naïf de notre part, mais si les montants en garantie étaient plus sérieux et que les clients y avaient plus facilement accès, les cautions s’assureraient peut-être qu’ils ne cautionnent pas n’importe qui, puis il y a plusieurs problèmes de qualité qui se régleraient d’eux-mêmes.

4.5 Et le travail sans licence?

Outre l’encadrement de ceux qui agissent dans la légalité, la RBQ se doit également de sévir contre ceux qui tentent de contourner le système et travaillent sans licence. Elle le doit aussi bien pour la protection du public que pour inciter l’ensemble de l’industrie à œuvrer légalement, ce qui nécessite de limiter autant que possible la concurrence déloyale des entrepreneurs illégaux.  

Or, ces efforts en ce domaine semblent également bien insuffisants. Le reportage de La Facture du 19 janvier 2021 en est un exemple éloquent. Si le cas spécifique de l’entrepreneur est révoltant, les lacunes qu’il fait apparaître à la RBQ le sont encore davantage.  

En résumé, l’entrepreneur dénoncé construit des chalets autour de lacs du Québec, sans licence RBQ, depuis 15 ans. L’entrepreneur en question, bien connu de la RBQ et considéré comme un récidiviste, a été condamné deux fois pour un total de 66 000 $, toujours impayé au moment du tournage. Comme la loi l’exige, la municipalité avait envoyé le nom de l’entrepreneur et de son entreprise à la RBQ lors de l’émission du permis de construction, sans plus de vérifications. Tout cela suscite plusieurs questions. 

D’abord, le reportage met beaucoup l’emphase, à juste titre, sur les vérifications qui devraient être faites au moment de l’émission du permis de construction. Ne serait-ce pas plus efficace si, avant même l’émission du permis de construction, la Municipalité vérifiait elle-même la licence, plutôt que de délivrer le permis en envoyant les informations à la RBQ qui pourra ensuite (ou pas, manifestement) sévir contre les entrepreneurs sans licence? Or, le maire interrogé affirme que même si une telle vérification était faite, rien dans la loi ne leur permet de refuser un permis de construction en raison de l’absence d’une licence appropriée. N’est-ce pas un pouvoir qui pourrait être donné aux Municipalités?  

Ensuite, alors que la RBQ avait manifestement en main depuis des années les données nécessaires pour repérer l’entrepreneur illégal, comment se fait-il qu’il ait fallu douze ans avant que survienne une première condamnation?

Entendre que les données transmises par les municipalités ne sont pas pertinentes en soi dépeint, encore une fois, une RBQ incapable de reconnaître ses lacunes. Comme chacun le sait, on trouve rarement des solutions à un problème qu’on refuse d’admettre. 

Pourtant, il s’agit de problèmes bien corroborés par le rapport de la VGQ qui est sorti quelques mois plus tard:  

« La RBQ n’utilise pas les déclarations de permis de construction fournies par les municipalités pour détecter des indices de travail sans licence étant donné que l’information qu’elles contiennent est partielle. Nonobstant cette justification, elle fait peu de représentations pour que les municipalités respectent leurs obligations quant aux informations à lui déclarer, et deviennent ainsi des partenaires dans la lutte contre le travail sans licence. En effet, selon la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les municipalités sont tenues de déclarer à la RBQ les permis de construction qu’elles délivrent. Plusieurs informations prescrites par la loi doivent être incluses dans cette déclaration, dont les coordonnées du donneur d’ouvrage et de l’exécutant des travaux (incluant le numéro de licence). Plusieurs municipalités ne déclarent pas l’ensemble des permis et des informations prescrites, dont l’identité des entrepreneurs exécutant les travaux. »

« En outre, la RBQ ne fait pas de visites de chantier dans les secteurs qui ne sont pas couverts par ses partenaires, telle la rénovation résidentielle d’un logement habité par son propriétaire. La CCQ n’intervient pas sur ce type de chantier, car il ne fait pas partie de son champ de compétence. L’organisme GCR n’inspecte pas non plus ce type de chantier. La RBQ a donc très peu de moyens, en dehors du traitement des plaintes, pour déceler le travail sans licence dans ce secteur. Pourtant, en vertu de la loi, les entrepreneurs engagés pour ce type de rénovation résidentielle doivent détenir une licence. » 

Rapport VGQ op. cit. par.70 et 72 (p.23).

Ainsi, cette page a surtout parlé de l’encadrement des entrepreneurs, mais il ne faut surtout pas oublier la surveillance de ceux qui choisissent illégalement de contourner cet encadrement.

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