Hausses de prix et résiliations illégales dans l’habitation neuve

Mercredi, 31 mars, 2021
Marc-André Harnois, ACQC

Depuis quelques semaines, l’ACQC est inondée d’appels d’acheteurs de maisons neuves aux prises avec une augmentation de prix considérable imposée par l’entrepreneur. 

Le scénario est généralement assez semblable : bien qu’un contrat préliminaire ait été signé et qu’il ne comporte pas de clause permettant l’augmentation du prix, l’entrepreneur contacte ses clients en affirmant que s’ils n’acceptent pas une hausse, il va résilier le contrat préliminaire, ou les poursuivre, ou faire faillite. 

Les hausses exigées vont en augmentant et dépassent de plus en plus souvent les 100 000 $. Certains vont même jusqu’à exiger ainsi plusieurs hausses successives (une fois que le poisson mord, pourquoi s’arrêter…?). Les entrepreneurs justifient ces augmentations par la flambée du prix des matériaux de construction ou les impacts de la COVID-19.

 

Est-ce légal? 

D’emblée, il faut le dire: sauf exception ou clause à cet effet, un entrepreneur ne peut résilier unilatéralement le contrat qui le lie à son client sans s’exposer à poursuite. Il y a bien la force majeure qui peut lui permettre de se dégager de ses responsabilités, mais il faudra en faire la démonstration. On ne peut pas davantage augmenter unilatéralement un prix convenu à l’avance, à moins qu’il y ait eu une clause à cet effet (et encore, il est arrivé que ce genre de clauses soient contestées lorsque rédigées de manière abusive).   

Tout cela revient à une question de gestion des risques. Il est tout à fait possible de partager le risque de fluctuation des coûts de construction entre l’entrepreneur et le consommateur. Il faut simplement le prévoir au contrat à l’avance et non après coup. Également, cela implique qu’il y ait une contrepartie pour le consommateur à partager ce risque. Par exemple, un prix plus compétitif ou la possibilité que le prix de vente ne puisse pas seulement augmenter, mais également diminuer si les coûts sont moindres que prévu. À notre avis, les hausses de prix imposées seront défendables le jour où les acheteurs auraient bénéficié d’une baisse de prix dans la situation inverse. Donc, n’hésitez pas à négocier votre contrat !

Par ailleurs, même dans les cas où le contrat préliminaire comprenait une clause d’ajustement du prix, on nous dénonce des utilisations fallacieuses de celles-ci. Par exemple, dans certains cas, les matériaux auraient été achetés parfois près de trois ou quatre mois après la signature du contrat, alors que l’entrepreneur s’était engagé à les acheter dès la signature de celui-ci. 
 

 

La hausse du prix des matériaux? Vraiment? 

Bien que l’ACQC puisse compatir avec les entrepreneurs qui ne s’attendaient pas à une telle hausse des prix et sont, dans certains cas, réellement à risque de faillite, nous contestons fortement les arguments de l’industrie. 

D’abord, la COVID-19 est là depuis maintenant un an. Une bonne part des maisons qui se construisent présentement ont été contractées durant la pandémie (cet automne, dans la plupart des cas qui nous ont été dénoncés). Plaider un cas de force majeur (imprévisible et irrésistible) dans ces circonstances est alors pour le moins surprenant. Inversement, certains entrepreneurs ont déjà acheté ou réservé des matériaux en quantité suffisante pour leur production estivale de manière à s’éviter toute surprise. Il y a des moyens de gérer le risque. Seulement, certains ne les prennent pas et ça ne devrait pas être aux consommateurs d’en payer le prix.

Ensuite, il ne faut pas non plus exagérer l’impact de la hausse du prix des matériaux. Le prix d’une maison ne se limite pas à celui des matériaux. La main-d'œuvre représente également une part importante du coût total, sans oublier la marge de profit. Si l’on en croit les Indices des prix de la construction de bâtiments, selon le type d'immeuble, l’augmentation du prix de construction d’une maison isolée dans la région de Montréal en 2020 serait de 5,5 %, alors que la moyenne ces dernières années était de 3,4 %. On parle donc d’une augmentation 2,1 % plus importante que la normale, soit clairement à l’intérieur de la marge de profit d’un entrepreneur type. Si on prend une maison de valeur médiane à 328 000 $, la partie «imprévue» de la hausse serait donc d’un peu moins de 7 000 $. On est très loin des hausses qui nous sont dénoncées.

 

La supercherie

Savez-vous ce qui a augmenté beaucoup plus que le coût de construction des maisons 2020? Le marché immobilier en général ! Selon Centris, le prix de vente médian des maisons unifamiliales a augmenté de 23 %, soit quatre fois plus que l’augmentation du prix de construction. L’entrepreneur sait très bien que s’il revendait la même maison aujourd’hui à quelqu’un d’autre, il obtiendrait un bien meilleur prix. Ainsi, il est de plus en plus clair avec l’augmentation des hausses exigées que le but de nombreux entrepreneurs n’est pas de compenser une perte sur le prix des matériaux, mais de profiter illégalement de la surchauffe du marché immobilier. Ils font alors tout ce qu’ils peuvent pour que les contrats soient résiliés. Menaces de poursuite, d’hypothèque légale ou de retards importants, intimidation, résiliations unilatérales… tout se voit.

 

Des recours?

Malheureusement, nous n’avons aucun mécanisme de protection efficace à suggérer aux consommateurs. Souvent, il y a bel et bien des recours légaux possibles, mais il est généralement beaucoup plus facile d’obtenir une compensation financière que de forcer l’entrepreneur à respecter son contrat. Or, en général, ce que l’acheteur veut, c’est d’avoir, comme convenu, la maison choisie sur le terrain choisi, à la date prévue, ce que notre système de justice lent et couteûx est bien incapable de lui assurer. De plus, la plupart du temps, les consommateurs ont déjà vendu leur maison actuelle (ou n’ont pas renouvelé leur bail) et n'ont donc aucun autre endroit où loger leur famille et leurs biens s’ils refusent la hausse. Sachant que le prix des maisons à fortement augmenté et qu’il ne retrouvera pas rapidement de maison comparable au même prix, l’acheteur accepte souvent la hausse, faute d’alternative moins désavantageuse. Cependant, plusieurs sont dans l'incapacité d'absorber ces hausses et sont présentement dans une situation très précaire.

L’ACQC encourage fortement les acheteurs à consulter un avocat spécialisé en droit de la construction ou droit immobilier au sujet de leur situation particulière. Lorsqu’on ne respecte pas un contrat (et à plus forte raison lorsqu’on le fait à contretemps), on peut être forcé de dédommager l’autre partie pour le préjudice qu’on lui fait subir. Plus le préjudice est élevé, plus il ne faut pas hésiter à consulter un avocat !

 

Une faille majeure

Tout cela étant dit, ce qui inquiète l’ACQC, c’est surtout le trou béant dans la protection des consommateurs en habitation qui se révèle actuellement. Aujourd’hui, c’est la hausse du prix des matériaux qui sert de prétexte à des hausses de prix et des résiliations sans droit. Qu'est-ce que ce sera demain? En effet, de nombreux entrepreneurs sont en train de réaliser que, même s’ils s’exposent à poursuite, ils peuvent se permettre de résilier des contrats préliminaires lorsque c’est à leur avantage. Des entrepreneurs pourraient se mettre à afficher systématiquement des prix artificiellement bas pour vendre plus rapidement, puis, en cours de construction, exiger une ou des hausses de prix.

D’ailleurs, cela semble déjà commencé: on nous a dénoncé un cas où l’acheteur se voit imposer une hausse de 25 000 $ alors que le même entrepreneur continue de vendre la même maison pour seulement 3 000 $ de plus. Disons qu’on ne sera pas surpris s’il impose d’autres hausses injustifiées à ses futurs clients peu après les ventes ! Doit-on craindre que la pratique se généralise?

 

Inaction au Plan de garantie

Au moment d’écrire ces lignes, Garantie de construction résidentielle (GCR) jugent que ces questions de hausse de prix ne relèvent pas du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Rien n’indique que le dossier de l’entrepreneur serait le moindrement du monde entaché chez GCR, même s’il utilisait systématiquement cette tactique, et GCR n’a pas l’intention d’agir concrètement contre cette pratique. Or, il s’agit d’une faille immense du plan. Que vaut un contrat préliminaire s’il est si facile de ne pas le respecter? 

 

Le gouvernement doit agir

À défaut de couvrir ce type de non-respect des obligations contractuelles, le Plan devrait minimalement être fermé aux entrepreneurs qui agissent ainsi. C’est pourquoi nous demandons à la Régie du bâtiment du Québec et à la ministre Andrée Laforest de modifier au plus tôt le règlement sur le Plan de garantie de manière à ce qu’un entrepreneur qui résilie unilatéralement et sans droit ses contrats préliminaires se voie retirer son accréditation pour une période d’un à cinq ans, selon la gravité des cas. Des démarches devraient également être prises par la Régie du bâtiment, les entrepreneurs en question ne se méritant à l’évidence pas la confiance du public. 

À défaut d’avoir rapidement un moyen d’indemniser les victimes, il faut minimalement adopter des moyens dissuasifs efficaces afin que cette pratique cesse immédiatement. 

En attendant que le gouvernement mette en place une solution, nous recommandons fortement aux consommateurs de ne signer aucun contrat préliminaire pour une habitation neuve sans avoir la preuve écrite que l’entrepreneur n’a pas exigé de hausses illégales de ses clients actuels. Nous recommandons également aux consommateurs de faire une lecture attentive de leur contrat afin de vérifier s’il contient des clauses autorisant de telles hausses de prix. N’oubliez pas que vous pouvez tenter de négocier le contenu de votre contrat préliminaire avant de le signer! 

On entend parfois que dans un marché de vendeur, on n’a pas vraiment le choix d’accepter n’importe quoi si on veut pouvoir acheter. L’ACQC tient à rappeler qu’être à logement coûte souvent moins cher qu’une relation désastreuse avec son entrepreneur. La confiance est un critère essentiel dans un projet d’une telle envergure. Or, comment faire confiance à un entrepreneur qui méprise ses obligations contractuelles et ses clients?