La pression monte dans les condos

Dimanche, 30 mai, 2021
Isabelle Massé, La Presse

Extrait(s) :

Depuis l’adoption des projets de loi 141 et 16, bien des propriétaires de condo doivent sortir plus d’argent de leurs poches pour la bonne gestion de leur immeuble. Alors que les dates butoirs arrivent pour se conformer aux nouvelles dispositions, les réactions oscillent entre la grogne et la résignation.

Clément Roberge se remémore l’achat de son condo, à Montréal, il y a 11 ans. Le constructeur lui parlait alors de charges mensuelles pour l’entretien et les services communs de 9000 $ par an pour les 57 appartements. Divisé grossièrement, un maigre total de 13 $ par mois en moyenne par condo. « Au bout d’un an, lors de la prise de possession, une firme d’ingénieurs nous a dit qu’on serait mieux avec 45 000 $ dans le fonds de prévoyance, raconte-t-il. Le calcul des constructeurs était donc ridicule. »

Devenu ensuite administrateur dans le syndicat de copropriété de son immeuble, M. Roberge affirme avoir bûché pour convaincre les copropriétaires du bien-fondé d’un fonds de prévoyance bien garni. « Le trou se creusait chaque année, dit-il. On a réussi à faire augmenter les contributions. Maintenant, on a 300 000 $, mais on aurait besoin de 600 000 $. Pour beaucoup de copropriétaires, les mensualités sont une dépense, même si on a expliqué et réexpliqué que cet argent, on ne le perdait pas. »

En théorie, l’argumentation entre copropriétaires devrait être moins nécessaire. L’adoption des projets de loi 141 et 16, respectivement en 2018 et 2019, fixe un cadre de gestion plus strict et actuel dans les immeubles résidentiels divises. Des évaluations de la valeur des immeubles doivent être menées tous les cinq ans, un carnet d’entretien doit être constitué, tout comme un fonds d’autoassurance.

Bref, tout doit être mis en place pour prévoir les dépenses éventuelles d’entretien, de rénovation et à la suite de pépins. On pense à la réfection de la toiture, aux dommages causés par un dégât d’eau… Le tout pour assurer le bon entretien d’un parc immobilier qui vieillit et pour laisser des immeubles en bon état aux futures générations.

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Dans bien des copropriétés, l’épargne n’est pas suffisante. Et même si on donne quelques années aux copropriétaires pour se conformer aux nouvelles dispositions, renflouer les coffres au niveau nécessaire relève parfois de la discipline olympique. Les gestionnaires de copropriétés sentent la grogne de certains syndicats de copropriété face à leurs coffres trop peu remplis. Ils ne mâchent pas leurs mots : bombe à retardement, catastrophe anticipée…

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Des gestionnaires de condos s’attendent à des charges de copropriété doublées et même triplées à court terme.

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« Environ 90 % des copropriétés ne sont pas à jour. Ça met une pression énorme sur les copropriétaires. Ils n’ont aucun contrôle. Ils sont confrontés à un réveil difficile. »

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« On sent la détresse et l’inquiétude, car dans beaucoup de bâtiments, il y a des retraités qui, depuis 15 ans, ont contribué des sommes trop basses, raconte Valéry Couture. C’est paniquant pour un aîné. On est sensible à la cause de chacun, mais tous doivent payer leur quote-part. »

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S’il n’y avait que le fonds de prévoyance à ajuster ! Les assureurs étant de plus en plus réticents à couvrir certains sinistres, les copropriétaires doivent se constituer un fonds (d’autoassurance) à hauteur de la plus grande franchise. Or, les montants des franchises ont bondi considérablement ces dernières années.

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« Quand le gouvernement a voté le projet de loi 141, personne ne pouvait prédire que les assureurs feraient passer les franchises à 250 000 $. À l’époque, on voyait des franchises de 25 000 $, qui ont été haussées à 100 000 $. Le gouvernement ne dit pas que c’est déraisonnable. S’il le fait, il n’y aura plus d’assureurs pour les immeubles. Il ne reste que six assureurs en copropriétés. »

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Si les obligations découlant de l’adoption des projets de loi 141 et 16 constituent un cadre contraignant aux yeux de copropriétaires du Québec, elles sont jugées essentielles par d’autres afin de préserver le parc immobilier et pour éviter aux copropriétaires de recourir à l’entièreté de leurs provisions, quand le malheur frappe ou qu’une réparation est nécessaire.

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La moyenne d’âge du parc de copropriétés est de 30 ans, selon le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec. « Dans un cycle de bâtiment, c’est là que les travaux arrivent, explique l’avocat Yves Joli-Cœur, de la firme Therrien Couture Joli-Cœur et fondateur du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec. Et là, les coûts de construction ont explosé. Les sommes provisionnées ne fonctionnent plus. C’est une autre conséquence de la COVID-19. »

Comme le marché de la copropriété est jeune, la vision à long terme n’est pas forcément implantée dans la façon de gérer les immeubles. 

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« On est dans un processus qui nous oblige à tout revoir pour la préservation du bien commun, souligne Mélissa Audette, qui est aussi administratrice de sa copropriété longueuilloise. Beaucoup de syndicats de copropriété ont eu tendance à maintenir les frais très bas. Ils se sont fait prendre. »