1.1. Le point de départ : Vérifications de conformité
Avant même de parler de qualification, il y a plusieurs conditions qu’un entrepreneur doit respecter pour pouvoir obtenir une licence de la RBQ, p.ex. en ce qui concerne ses antécédents criminels, fiscaux ou de faillites. Or, lors d’une demande de licence, la RBQ doit rendre une décision en 60 jours et il semblerait qu’elle peine à effectuer toutes les vérifications nécessaires dans les temps. Cela ne l’empêche pas de poursuivre les vérifications par la suite, mais le processus étant plus long pour annuler une licence que pour la refuser, cela permet tout de même un certain temps sur les marchés, des entrepreneurs qui, dès le départ, n’avaient pas droit à une licence. Ce constat ne vient pas de nous, mais de la VGQ (2021, extraits des p.17-20.) :
« Avant de délivrer une licence, la RBQ vérifie seulement les antécédents que l’entrepreneur déclare. Elle n’effectue aucune vérification sur les entrepreneurs, les dirigeants et les autres actionnaires qui ne déclarent pas d’antécédents ou qui ne sont pas déjà connus pour leur implication dans une entreprise titulaire d’une autre licence. Les antécédents de ces personnes sont vérifiés après que la licence a été délivrée. Ainsi, la RBQ délivre parfois des licences à des entrepreneurs qui ne respectent pas les conditions liées à la probité et à la solvabilité, alors qu’elle aurait tout avantage à les détecter avant de délivrer les licences.
Nous avons recensé 30 licences ayant été restreintes, suspendues ou annulées par la RBQ dans les 180 jours suivant leur délivrance, au cours de la période du 1er avril 2018 au 31 mars 2020. Sur les 10 licences analysées, les motifs de restriction, de suspension ou d’annulation existaient déjà avant que la licence soit délivrée. Si la RBQ avait effectué au préalable les vérifications requises, elle aurait pu refuser de délivrer 8 de ces 10 licences, et ce, à l’intérieur du délai légal de 60 jours. Pour 2 de ces 8 licences, la RBQ a même omis de considérer des antécédents déclarés dans le formulaire de demande d’une licence. Voici un exemple où des vérifications préalables complètes auraient fait en sorte qu’une licence n’aurait pas été délivrée.
Par ailleurs, depuis 2013, la RBQ a une entente avec le Registraire des entreprises, qui lui permet de consulter les renseignements consignés dans le Registre des entreprises. Elle peut ainsi identifier toutes les entreprises appartenant ou ayant appartenu aux dirigeants d’une personne morale. Toutefois, elle utilise cette entente seulement lors de ses enquêtes. Au 31 mars 2020, elle n’avait pas mis de procédure en place afin d’exploiter ces renseignements et d’effectuer les vérifications nécessaires avant de délivrer une licence. Il n’y avait pas non plus de procédure pour détecter les changements des dirigeants et des autres actionnaires dans les structures d’entreprise une fois la licence délivrée. »
Le constat est similaire en ce qui concerne les renouvellements de licence, tel qu’en témoigne également ce passage concernant le cautionnement :
« La RBQ ne fait pas un suivi suffisant des licences des entrepreneurs qu’elle a suspendues [...] pour annulation du cautionnement. Au 31 mars 2020, malgré que leur cautionnement soit annulé, 29 entrepreneurs ont continué de payer leurs licences à la réception d’un avis de cotisation de la RBQ. Parmi eux, 16 continuent de payer depuis au moins 3 ans même si leur licence était toujours suspendue en février 2021. La RBQ aurait dû annuler ces licences étant donné qu’elle ne sait pas si ces entrepreneurs détiennent un cautionnement. » Rapport VGQ op. cit. par.90 (p.28)
Cela dit, ces constats datent de 2021. Comme le VGQ effectue un suivi de ses recommandations, un rapport de suivi sera éventuellement publié et la RBQ a donc tout intérêt à corriger ces lacunes, ce qui est peut-être déjà fait.
1.2 La qualification des entrepreneurs
L’une des fonctions de la RBQ est de « contrôler la qualification des entrepreneurs [...] de façon à s’assurer de leur probité, leur compétence et leur solvabilité» (a.111.2). La RBQ a clarifié ses exigences en la matière dans son Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs [...].
C’est selon nous, son rôle le plus important, d’abord parce qu’il est préventif et règle des problèmes à la racine, mais également parce qu’en théorie, plus les entrepreneurs sont qualifiés, moins ils nécessitent de surveillance par la suite.
Donc, lorsque la RBQ délivre une licence, c’est qu’elle considère avoir vérifié que le titulaire est qualifié pour la détenir.
Elle offre trois moyens aux entrepreneurs pour faire valider leur qualification:
- Passer les examens de la RBQ
- Réussir un programme de formation reconnu par la RBQ
- Obtenir des équivalences en présentant un dossier professionnel
De plus, la RBQ a identifié quatre domaines de qualification à évaluer:
- l’administration (pour éviter les faillites);
- la gestion de la sécurité sur les chantiers de construction (pour éviter les accidents de travail);
- la gestion de projets et de chantiers (pour s’assurer de la fiabilité des entrepreneurs);
- l’exécution de travaux de construction (pour s’assurer de la compétence technique des entrepreneurs).
L’Annexe III
Une première lacune majeure ici est que de nombreux entrepreneurs sont exemptés de l’examen sur l’exécution de travaux de construction (en vertu de l’article 3.2.4. du Règlement d'application de la Loi sur le bâtiment), car la RBQ considère que leur spécialisation est « à risques moins élevés ».
Or, parmi ces sous-catégories de licence exemptées (l’annexe III), on retrouve l’essentiel des rénovations résidentielles, notamment :
- Entrepreneur en travaux de maçonnerie non structurale, marbre et céramique
- Entrepreneur en isolation, étanchéité, couvertures et revêtement extérieur
- Entrepreneur en portes et fenêtres
- Entrepreneur en travaux de finition
- Entrepreneur en armoires et comptoirs usinés
Ainsi, si on omet électriciens et plombiers, la plupart des entrepreneurs spécialisés auxquels un consommateur fera affaire dans sa vie sont de spécialités qui relèvent de l’annexe III (et n’ont donc pas fait d’examen en exécution de travaux de construction), comme l’a également relevé la VGQ :
«La RBQ n’exige pas de répondant en exécution de travaux de construction pour les sous-catégories de licence de l’annexe III (voir la liste des sous-catégories dans la section Renseignements additionnels). Ces sous-catégories de licence sont accordées sans évaluation des connaissances techniques à quiconque en fait la demande. Elles ont trait entre autres à des travaux d’excavation et de terrassement, à des travaux d’isolation, d’étanchéité, de couverture et de revêtement extérieur, ainsi qu’à des travaux de portes et fenêtres. Au 31 mars 2020, plus de 14 000 licences ont été délivrées exclusivement pour des sous-catégories de cette annexe.
En sus, la RBQ ne réalise pas d’inspection des travaux réalisés par les titulaires de ces licences. Par conséquent, elle a très peu de moyens de s’assurer des compétences techniques de ces entrepreneurs et de la qualité des travaux qu’ils exécutent. De plus, aucune formation continue ne sera exigée pour eux à compter du 1er avril 2022.
Ainsi, la RBQ n’évalue pas les compétences de ces entrepreneurs, alors que les travaux qu’ils sont autorisés à effectuer nécessitent des connaissances techniques. La majorité des travaux de ces entrepreneurs doivent d’ailleurs être réalisés par des corps de métier qui sont légiférés par la CCQ. La RBQ explique son approche par le fait que ces travaux ne mettent pas à risque la sécurité physique immédiate des personnes. Toutefois, de tels travaux, s’ils sont de mauvaise qualité, peuvent avoir un impact financier important et des conséquences pour la santé, notamment les travaux ayant trait à l’excavation et à l’enveloppe du bâtiment, comme les travaux d’isolation et de toiture.»
- Rapport VGQ op. cit. par.39-41 (p.15).
Pourtant, l’annexe III ratisse très large et compte des spécialisations comportant des risques qui sont loin d’être négligeables pour le consommateur. Par exemple, une couverture mal réalisée qui coule à l’intérieur des murs peut, avant qu’on s’en rende compte, causer des problèmes de moisissures tels qu’il faille refaire une part importante du bâtiment.
Ainsi, la mission de la RBQ étant de s’assurer que tout entrepreneur possède les qualifications requises, l’absence de vérification de la qualification en exécution de travaux, quelle que soit la sous-catégorie de licence, nous semble incompatible avec sa mission. Ainsi, selon nous, l’article 3.2.4 du règlement d’application (introduit en 2008), qui exempte des entrepreneurs de la qualification en exécution de travaux, devrait simplement être abrogé.Si l’on peut convenir que dans certains domaines, un examen à choix multiple de 3h n’est pas un moyen pertinent pour évaluer la qualification de l’entrepreneur, alors un moyen pertinent doit être trouvé et non pas l’entrepreneur exempté.
Abolir l’exemption de qualification de l’annexe III serait, également, une mesure cohérente avec la formation continue obligatoire nouvellement implantée. La RBQ a plusieurs fois évoqué son élargissement futur à l’ensemble des sous-catégories de licences. Or, comment peut-on sérieusement imposer de la formation continue à des gens dont on n’exige aucune qualification initiale ?
En effet, la formation continue vise le maintien à jour de connaissance. Cela présuppose qu’on ait les connaissances requises à la base. Or, dans le cas de l’annexe III, comme aucun moyen n’est mis en œuvre pour s’assurer de la qualification initiale, imposer de la formation continue est, selon nous, un non-sens. Si l’on veut élargir la formation à l’ensemble des sous-catégories de licences (ce à quoi nous sommes évidemment favorables), il serait logique de reconnaître qu’une qualification initiale est nécessaire dans tous les cas.
Cette exemption de qualification est d’autant plus préoccupante que l’essentiel de la rénovation domiciliaire est également exempté d’engager des ouvriers possédant leur certificat de compétences de la CCQ. Donc, dans ce secteur, l’État ne vérifie la qualification de personne, qu’il soit question des ouvriers, ou de l’entrepreneur. Il ne faut donc pas se surprendre lorsque la qualité n’est pas au rendez-vous.
Finalement, l’expérience terrain est bel et bien là pour démontrer que certaines sous-catégories de licences concernées génèrent un volume de plaintes important.
Les examens
Cela dit, qu’en est-il des 15% de sous-catégories accordées dans les spécialisations jugées plus à risque? On pourrait s’attendre à ce que la RBQ soit alors particulièrement exigeante. Or, selon nous, il n’en est rien.
Les examens de la RBQ sont des examens écrits, à choix multiples, de 3 heures (sauf sécurité sur les chantiers qui est de 1 h 30), avec une note de passage de 60%. D’après les données obtenues par demande d’accès à l’information en 2021, les différentes versions en exécution de travaux comportent en moyenne 59 questions, ce qui donne un peu plus de 3 minutes par question.
Plusieurs questions s’imposent:
- Sachant que la licence d’entrepreneur permet d’exécuter soi-même les travaux sans avoir de certificat de compétence d’ouvrier, est-ce qu’un examen exclusivement théorique est-il une manière adéquate de vérifier la qualification en exécution de travaux de construction (ce qui n’est absolument pas le cas dans les écoles de métiers)?
- Est-ce qu’on a suffisamment de 3h pour vérifier la qualification dans un domaine donné (alors que les formations reconnues dans ces domaines comportent davantage de temps d’examen)?
- Est-ce que des examens exclusivement à choix multiples permettent une mesure fiable des compétences?
- Est-ce qu’une note de passage de 60% est suffisante ?
- Est-ce que les questions sont suffisamment difficiles pour refléter la complexité des différents codes et normes applicables au Québec?
Sans répondre à toutes ces questions, notons que des acteurs du milieu nous dénoncent régulièrement que ces examens sont ridiculement trop faciles. Nos questions ne sont qu’une énumération de ce qui pourrait être remis en question à la RBQ pour actualiser ses méthodes en vérification de la qualification.
La durée des examens
Le contenu des examens étant confidentiel, nous ne pouvons nous prononcer sur celui-ci autrement que par ce qu’on nous en rapporte. Cependant, la durée, elle, est bien connue et nous semble beaucoup trop courte par rapport à la quantité de matière à couvrir. Comme mentionné, la RBQ reconnaît des formations qui exemptent de ses examens et, curieusement, elles sont toutes nettement plus exigeantes que la RBQ elle-même ne l’est. Pour un entrepreneur général, cela nécessite 10,5 heures d’examens (en 4 examens), alors que chez les formations reconnues par la RBQ, on parle en moyenne de 36h. On parle d’un écart non négligeable. Manifestement, même les associations d’entrepreneurs (qui offrent ces formations) jugent que ça exige plus de temps que cela pour évaluer adéquatement les qualifications de futurs entrepreneurs. Il ne fait pour nous aucun doute que la RBQ ne peut en 10,5 heures vérifier autant de notions que les formations privées le font en 2 à 4 fois plus de temps. Il y a donc deux classes d’entrepreneurs: ceux qui sont formés et ceux qui ne le sont pas.
La RBQ joue aux dés
Ensuite, la combinaison «examen à choix multiples» et «note de passage de 60%» pose un risque important à nos yeux. Théoriquement, on peut passer un examen à choix multiples en n’y connaissant rien, en répondant aléatoirement. Il suffit d’être chanceux. Pour un individu, c’est un mauvais pari, mais dans la masse, c’est évident qu’il y en a qui réussissent grâce à la chance. Pour réduire la probabilité que cela arrive, un évaluateur rigoureux peut augmenter le nombre de questions ou encore le nombre de choix de réponse par question, hausser la note de passage, ou encore adopter une correction négative (perte de points lorsque la réponse est fausse, ce qui incite à ne pas répondre aléatoirement aux questions dont on ne connaît pas la réponse).
Si vous avez déjà fait un cours de base en statistique, vous savez que la probabilité d’un succès aléatoire est assez facile à calculer, et elle nous semble non négligeable dans les examens de la RBQ. En effet, dès que le répondant connaît suffisamment la matière pour pouvoir éliminer certains choix de réponse, il n’a pas besoin de bien maîtriser la matière pour avoir de bonnes chances de passer l’examen. Savoir identifier des mauvaises réponses devient suffisant. Concrètement, en moyenne, dès qu’il connaît 44% de la matière, il a plus de chances de passer que d’échouer, et s’il connaît 52% de la matière, la probabilité grimpe à 93%. Or, sur un chantier, c’est bien insuffisant! Est-ce que c’est vraiment le niveau de qualification qu’on veut dans la construction au Québec?
D’ailleurs, d’après les données de la RBQ de 2016 à 2021, en exécution de travaux, 50% des examinés ont fait un examen dont le taux de réussite est de 70% ou plus, et 20%, dont le taux de réussite est de 90% ou plus. De tels taux de succès nous semblent pour le moins questionnables, en particulier lorsqu’on considère que ceux qui passent les examens, normalement, n’ont pas suivi de formation reconnue.
Former à la profession ou aux examens?
Cela étant dit, le clou dans le cercueil de la fiabilité des examens, c’est probablement l’existence de formations qui visent non pas à former des entrepreneurs compétents, mais à permettre au répondant de passer les examens. Ces formations où l’on apprend à bien répondre aux questions sont évidemment combattues par la RBQ, mais avec peu de succès puisqu’on en retrouve toujours. Certains entrepreneurs nous ont d’ailleurs dénoncé que des questions d’examens étaient en circulation sur le Web, que la situation avait été rapportée à la RBQ, mais que rien ne semblait changer. D’ailleurs, au printemps 2018, même l'APCHQ dénonçait la trop grande facilité pour obtenir une licence, dans le contexte de la prolifération de «formations» douteuses aux examens de la RBQ.
À ce sujet, le constat de la VGQ:
« Nos travaux ont révélé que la RBQ modifie peu ses versions d’examens. Cela augmente le risque que les candidats connaissent d’avance les questions des examens, et a donc pour effet de nuire à une évaluation rigoureuse et efficace des connaissances. Par exemple, les mêmes versions d’examen sont utilisées depuis 2008 pour 9 des 15 examens les plus fréquemment utilisés pour évaluer les compétences des candidats qui veulent se qualifier comme répondant en exécution de travaux de construction. Une version d’examen pour les candidats à titre de répondant en administration a même été passée près de 4 000 fois sur une période de 20 mois avant que la RBQ la modifie. Nous avons également constaté que 359 candidats ont passé plus d’une fois la même version d’un examen, ce qui représente 11 % des candidats ayant passé un examen de reprise du 1er avril 2018 au 31 mars 2020. Parmi eux, 175 se sont finalement qualifiés. » Rapport VGQ op. cit. par.31 (p.13).
En réponse à la VGQ, la RBQ a immédiatement mis de l’avant l’informatisation de ses examens, déjà en cours en 2021. Celle-ci doit permettre des mises à jour plus fréquentes de ses examens et ainsi contrer la circulation des questions (et surtout des réponses) dans l’industrie. Cet élément est d’ailleurs apparu dans sa nouvelle Planification stratégique 2023-2028. On y a cependant eu la surprise de constater que même advenant qu’elle atteignent ses cibles, en 2027-2028, près de 7 ans après le dépôt du rapport de la VGQ, malgré que la RBQ disait alors que la modernisation était déjà entamée, on n’en sera toujours qu’à 50% des nouvelles versions d’examens administrées. Sans vouloir minimiser l’ampleur du chantier que ça doit représenter et l’importance de bien faire les choses, considérant la fierté que la RBQ a manifestée pour ce projet depuis 2021, on s’attendait à ce qu’ils soient plus avancés.
Parallèle avec la CMMTQ
Outre de contrer la circulation des questions et des réponses, l’informatisation des examens ouvre la porte à de nombreuses autres améliorations possibles aux examens, comme est en voie de le démontrer la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec (CMMTQ), l’organisation à qui la RBQ a délégué une partie de l’encadrement des plombiers. En effet, fin novembre 2023, la CMMTQ a annoncé une refonte majeure de ses propres examens qu’elle présentait ainsi :
« Afin de bien mesurer les compétences du candidat, le nouvel examen est constitué de mises en situation se rapprochant de la réalité.
Jusqu’ici, la note de passage était de 60 %.
Or, le nouvel examen est organisé autour de 4 modules que le candidat doit réussir avec une note de passage variant de 70 à 75 % selon le module. »
S’il est encore trop tôt pour dire si la refonte prometteuse de la CMMTQ sera un succès, elle nous semble, à tout le moins, très bien orientée dans la bonne direction. C’est exactement le genre de démarche que l’on voudrait voir à la RBQ et que l’informatisation de leurs examens pourrait permettre.
Formation initiale obligatoire
Tout cela étant dit, plutôt que de miser sur une amélioration drastique des examens, nous croyons bien davantage qu’une formation initiale devrait être obligatoire, sauf cas d’exemption (par exemple sur la base de l’expérience ou car membre d’un ordre professionnel pertinent).
D’après les données de la RBQ de 2016 à 2021, en exécution de travaux, seul le tiers des demandes de qualification réussies le sont sur la base d’une formation reconnue. Le fait d’être formé n’est donc vraiment pas la norme. Cependant, ce pourcentage est très variable selon les sous-catégories de licence et certains domaines se distinguent positivement en à la matière. Dans le secteur du bâtiment (soit les licences 1.1, 1.2 et 1.3), ce pourcentage grimpe à 57% et si on ne considère que le petit bâtiment (donc en excluant 1.3), ça monte encore à 61%. Dans ces secteurs, c’est donc déjà une majorité des nouveaux répondants qui utilisent la formation comme moyen de reconnaissance de la qualification. Exiger la formation initiale dans ce secteur ne ferait donc qu’imposer à une minorité le moyen de qualification déjà choisi par la majorité.
Ce serait, selon nous, une mesure raisonnable et pertinente pour améliorer la qualification des entrepreneurs, laquelle concernerait tout de même 57% des demandes de qualification en exécution de travaux.
Parallèle avec la certification des ouvriers
D’ailleurs, c’est d’autant plus surprenant qu’aucune formation initiale ne soit exigée pour les entrepreneurs, quand on compare avec ce qui est exigée des ouvriers qu’ils dirigent. En effet, il est beaucoup plus facile et rapide d’obtenir une licence de la RBQ qu’un certificat de compétence-compagnon de la CCQ !
Sauf exception, les ouvriers qui sont sous la responsabilité des entrepreneurs doivent généralement compléter un diplôme d’études professionnelles (DEP) allant de 700 à 1800 heures (selon le métier) pour devenir apprenti, avant de cumuler 4000 à 8000 heures d’expérience (environ 5-6 ans) et de passer un examen pour obtenir leur certificat de compétence «compagnon» et d’ainsi pouvoir oeuvrer de manière autonome (sans la supervision d’un compagnon) sur des chantiers. C’est moins vrai en ces temps de pénurie de main-d'œuvre, où des raccourcis sont prévus, mais ça demeure une démarche longue qui fait en sorte que les ouvriers du Québec sont généralement reconnus comme étant parmi les mieux formés et les plus productifs au Canada (CCQ 2006, p.59 et 77).
En comparaison, rappelons que même les entrepreneurs ayant suivi une formation reconnue par la RBQ n’ont suivi que 300 à 450 heures de formation et qu’aucune expérience en chantier n’est exigée. On peut donc dire qu’en comparaison de leurs ouvriers, les entrepreneurs semblent être extrêmement sous-qualifiés, du moins, s’ils ne respectent que les exigences minimales.
Le cas particulier de la rénovation domiciliaire
Comme expliqué plus haut, la plupart des entrepreneurs spécialisés dans la rénovation résidentielle ont obtenu leur licence sans que leur qualification en exécution de travaux ne soit vérifiée par la RBQ. De plus, lorsqu’ils concentrent leur activité dans le petit bâtiment (généralement non assujetti au Code de construction du Québec), ils ne sont, de plus, jamais inspectés par la RBQ (les normes de constructions dans ce secteur relèvent des municipalités qui devraient donc, elles, inspecter, mais ne le font pratiquement jamais).
Là où ça devient encore plus inquiétant pour le consommateur, c’est que ce secteur est également exempté de l’application de la Loi qui encadre la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, la Loi R-20. En effet, l’article 19, a.9, vient exempter les travaux d’entretien, de réparation, de rénovation et de modification d’un logement lorsque exécutés pour un propriétaire-occupant à des fins personnelles et non lucratives (reformulation). Cela veut dire que dans ces cas, l’entrepreneur peut engager n’importe qui, qu’il ait ou pas de certificat de compétence.
On ne s’étendra pas ici sur l’incohérence qu’on voit dans cette exemption qu’on aimerait voir un jour disparaître. Simplement, nous souhaitons souligner que dans le secteur de la rénovation domiciliaire, dans la plupart des cas, on ne vérifie la qualification technique ni de l’entrepreneur, ni de ses ouvriers. Il ne faut donc pas se surprendre des problèmes de qualité qu’on observe.
Revendication sur la qualification
C’est pourquoi il faudrait donc :
- Que les formations reconnues par la RBQ ne soient plus optionnelles, mais obligatoires pour se qualifier, et ce, pour l’ensemble des sous-catégories de licences;
- Qu’une refonte des examens de la RBQ transforme ceux-ci en garde-fous, venant valider l’uniformité des diplômés des différentes formations.
- Que leur format soit repensé, par exemple en s’inspirant de ce qui se fait à la CMMTQ, afin que le niveau de difficulté reflète l’importance de la qualification des entrepreneurs en construction.
- Que les ouvriers du secteur de la rénovation domiciliaire soient à nouveau encadrés par la CCQ et donc, qu’un type de travaux donné ait le même encadrement qu’il s’agisse d’une construction neuve ou de rénovations (cela ne relève cependant pas de la RBQ, mais bien du gouvernement puisqu’il faudrait modifier la loi R-20).
- À défaut, minimalement, que ce soit le cas pour les travaux touchant à la structure ou à l’enveloppe du bâtiment (et en particulier à la toiture).
Ensuite, tout cela pourrait grandement améliorer la situation pour l’avenir, mais il faudrait également faire le ménage parmi ceux qui ont déjà obtenu leur licence et qui n’auraient pas dû. Advenant que les exigences en matière de qualification soient rehaussées, il faudrait absolument que cela s’applique également aux entrepreneurs actuels. Bien qu’une période transitoire soit justifiée et nécessaire, à partir du moment où l’on admet que les exigences actuelles en matière de qualification sont insuffisantes, la sécurité du public ne peut permettre que les plus de 48 000 licenciés actuels puissent conserver éternellement leur licence comme un droit acquis. Car, et c’est une partie du problème, une fois qu’on a sa licence, la qualification est acquise aussi longtemps qu’on la conserve (et même jusqu’à cinq ans après). Aucun examen périodique n’est imposé. À moins d’être enquêté par la RBQ, l’incompétent peut donc le demeurer tout au long de sa carrière, ce qui nous emmènera à la question de la formation continue.